Il y a quelques jours dans la capitale Belge, a eu lieu l’évènement culturel du trimestre, à savoir la Museum Night Fever. Une soirée effervescente où tous les musées de Bruxelles restent ouverts au public jusqu’à 1 heure du matin. Le ticket, pour un prix de €12 donne accès à tous les musées ainsi qu’à l’utilisation de navettes entre les différents points d’intérêts culturels de la capitale. Dans l’idée que pas assez de personnes se déplacent pour visiter nos beaux musées, cette activité culturelle en soirée est, à mon sens, une excellente initiative. Cette année, près de 17.000 personnes ont assisté à la soirée et ont découvert des musées moins connus, tels que le Musée de la Dentelle, où sont compilés des habits de toutes les couleurs, tailles et styles de manière chronologique. C’est un petit musée à deux rues de la Grand Place de Bruxelles, offrant à la fois une encyclopédie de la mode à travers l’Histoire, mais aussi un point de vue détaillé des raisons de la création de certains habits, de la tendance de jadis, et les essais de certains artistes de libérer la femme de son habit parfois contraignant.
Parmi tous les musées ouverts ce soir-là, les plus connus sans doute furent les Musées des Beaux-Arts et Magritte. Malgré la fermeture mystérieuse du premier étage de l’atrium du musé, le rez-de-chaussée expose néanmoins l’Episode de la Révolution Belge par Gustaf Wappers. Cette œuvre d’art rempli l’atrium de sa passive puissance, faisant parti sans doute de ces œuvres qui fondent un mythe, une légende explicative de notre sens commun.
Il s’agissait d’abord de se faufilait parmi les autres personnes afin de pouvoir non seulement voir les fameux tableaux de Magritte, mais encore d’arriver à l’étage correspondant. Ses tableaux sont d’un style irrationnel et absurde. Il ne faut pas être un historien de l’art pour pouvoir catégoriser ses tableaux parmi les surréalistes du XXe siècle ; que dis-je, Magritte est probablement l’emblème de ce mouvement, ne l’ayant, si pas décris, du moins incarner. Justement, ses tableaux juxtaposent des éléments quotidiens aux côtés d’objets abstraits, dans un environnement inconnu, avec de plus, sans formes ou contenus définis. Nous aurions quasi l’impression que ces tableaux nous jugent pour notre critique de l’art, nous regardant nous-même avec une arrogance impressionnante. Ils semblent défendre leur droit d’être parmi ces grandes œuvres définissant notre humanité, telle l’Écriture chinoise, les peintures Aborigènes australiennes, ou encore La Liberté guidant le peuple de Delacroix.
Fondamentalement, Magritte nous met en présence d’un schéma qui nous met mal à l’aise, nous pousse dans un coin d’incompréhension et de dégout. Qu’y a-t-il à comprendre à ce tableau ? Que voulait-il dire ? Les questions affluent, et le public reste sur sa faim. Il n’y a pas de réponse. Un silence strident. Toutefois, ces tableaux nous communiquent tellement d’informations, de sens et de significations, c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose à comprendre. Or c’est simplement que nous ne connaissons pas le vocabulaire pour pouvoir comprendre ses œuvres. Nous sommes à priori illettrés face à ce monde inédit.
Dans les salles se trouvaient également des individus qui tentaient, tant bien que mal, d’exposer quelques éléments de réponse aux personnes intriguées par les tableaux. Ils essayaient vraiment à rendre les peintures sensées et compréhensibles, et expliquer que, essentiellement, il n’y a rien à comprendre. Il s’agit simplement de regarder et passer au suivant. Ils tentaient des fois à décomposer les peintures et à identifier par exemple, les trois œufs sur le chevet d’une fenêtre comme une métaphore pour la famille nucléaire. Soit, cela est bien possible. Toutefois, Magritte ne décompose pas ses peintures, et cela apporte une explication scientifique pour une expression artistique qui n’est pas censé être déconstruite. Cela reste bien entendu utile et permettent aux personnes de mieux aborder le tableau, mais cela n’est qu’une partie de l’herméneutique de l’œuvre. Nous restons ainsi malgré tout surpris, car il ne se peut que Magritte ait dédié tant de temps à peindre tant de tableaux pour juste une famille nucléaire !
A côté des tableaux se trouvent gravées des citations du peintre dans le bois du mur sur lequel pendent les tableaux. Nous sommes invités à les lire, afin d’acquérir les éléments nécessaire pour déchiffrer les œuvres d’art.
« Tout dans mes œuvres est issu du sentiment de certitude que nous appartenons, en fait, à un univers énigmatique. »[1]
Nous sommes donc en présence d’un monde limitrophe au notre, et pourtant complètement obscure et mystérieux. Un univers dans lequel nous ne pouvons comprendre qu’autant que possible.
« On a trop souvent l’habitude de ramener, par un jeu de la pensée, l’étrange au familier. Moi, je m’efforce de restituer le familier à l’étrange. »[2]
Il est désormais évident : Magritte nous emmène dans un monde à part, différent, et pourtant identique au notre, étant donné les objets et les situations familières. C’est un univers qui parait connu et pourtant qui nous met mal à l’aise, qui nous déplait et nous rend la pensée cryptique, alors qu’il nous semble pourtant familier comme univers. Il est cependant vrai que nous cherchons constamment à échapper à notre quotidien, à voler à notre vie journalière quelques heures, parfois même quelques semaines, de pause afin de pouvoir vivre et se ressentir en vie à nouveau. Nous cherchons à voyager loin, à lire de romans fantastiques nous emmenant dans des pays lointains et magiques. Nous tentons d’oublier notre traintrain quotidien et nos responsabilités. Nous voulons à tout prix revenir à nos libertés de pensés et d’actions, car nos vie de tous les jours nous rend peut-être malheureux ou peut-être notre travail est aliénant. Au soir nous oublions notre journée parfois difficile, les kilomètres de files, et nous regardons un film d’actions, d’amour, de comédie ou n’importe, du moment que c’est loin, et que nous omettons pour un instant seulement, que demain nous repartons à zéro. Quelle que soit la raison, nous briguons cette envie du fantastique, du magique et du beau. Sans lequel, nous dirons même, nous nous perdrions.
Nous « ramenons, par un jeu de la pensée, l’étrange au familier ».[3] C’est exactement ce que nous faisons. Nous voulons l’étrange, mais juste un peu, sinon c’est bizarre et répugnant. Or, nous voilà en présence de l’étrange mais en plus, dans un format simple et compact. Il ne s’agit pas de comprendre, comme dirait l’écrivain surréaliste français André Breton, mais bien d’aimer en premier lieu.[4] Nous ne devons pas comprendre ce que le tableau contient, mais plutôt essayer de réfléchir à quoi cela nous fait penser ou sentir. Magritte dirait sans doute que ces tableaux ne sont pas des compositions, car cela reviendrait à dire qu’il peint des composantes, et que l’on pourrait les analyser individuellement. Cela ne fait que rajouter à cette raison d’être : ne décomposons pas, sinon cela commencerait à avoir du sens, or tout ce qui est sensé, est par définition simple, compréhensible et quotidien. Décomposer reviendrait à rendre l’étrange familier. Magritte tient à cette étrangeté. Nous ne encourageons pas cette démarche, au contraire, nous défendons l’aspect étrange de ses peintures. Il s’agit plutôt de voir à quoi l’œuvre d’art nous fait penser, quelle partie de notre vie familière cela nous fait réfléchir. Quelle partie de notre inconscient est suscitée à la surface. Sommes-nous dégouté, enivré, ou heureux, ravi de sa connaissance. Magritte ne fait donc que ramener cette limite entre le familier et l’étrange proche de nous, et les mets en opposition en face de nous. A nous de faire le reste, à nous de ressentir, à nous d’aimer.
Toutefois, cela n’est qu’une partie du chemin. Le peintre doit encore rendre son œuvre accessible, au risque de la rejeter dans la sphère ascète et cryptique des personnes qui pensent comprendre mais en fait ne font que paraphraser la même idée qui n’en est même pas une. Tout art tourne autour d’un message. Tel une abeille qui cherche la fleure la plus belle, nous aussi nous cherchons les œuvres les plus merveilleuses et harmonieuses. De plus, ces expressions artistiques contiennent toute un message, une idée, une opinion. Si l’auteur a du mal à transmettre son message, si l’œuvre d’art n’appelle pas au public, elle restera oubliée, ou pire, elle sera rappelée comme cette œuvre qui nous rendait un mauvais souvenir.
Apprécier une œuvre d’art reste fondamentalement subjectif. L’on peut énumérer les facteurs sociaux déterminants qui nous poussent à aimer certaines expressions artistiques plutôt que d’autres, comme l’a fait le sociologue français Pierre Bourdieux, mais cela n’explique pas la conversation intime entre un tableau, une chanson et l’individu apte à se faire transporter ailleurs, en recherche du fantastique. L’étrange, dans sa forme la plus dénudée, est ce que Magritte nous dépeint. Le monde à l’envers, qui suscite des souvenirs peut-être, qui nous répugne, ou qui nous plait vraiment. Dans tous les cas, René Magritte et ses peinture réussissent leur pari : nous réagissons. Positivement ou négativement, soit, mais nous réagissons.
Tout l’enjeu est de savoir surtout pourquoi nous réagirons négativement. Pourquoi ce tableau nous éveille un dégout. Est-ce un mauvais souvenir ?[5] Si cela est le cas, Magritte nous donne l’opportunité de nous surpasser, d’oublier cette partie de notre vie, et d’entrer dans cet univers sans sens, où l’on peut expliquer tout ce que l’on veut, comme l’on veut.
Le grand historien de l’art E. H. Gombrich écrivait dans son concis de l’art, que « l’Art », avec un A majuscule, n’existe pas. Cette force intrinsèque n’existe point. Il n’y a que des artistes. L’activité artistique existe bien, mais l’explication esthétique de cette activité, est une farce. Tout art répond à cette envie de narrer une histoire, d’expliquer une position, un rêve, un mythe. Fondamentalement, l’art n’existe que parce qu’il y a des artiste parmi nous qui prennent le temps à exprimer un message au travers d’un moyen non-conventionnel et harmonieux.[6] Ensuite, une œuvre peut prendre une forme bourgeoise ou populaire, afin qu’elle se vende rapidement à un prix gigantesque, telle une chanson pop, une peinture de Rubens, ou une sculpture de Brancusi. L’œuvre d’art peut aussi prendre un forme sociale, non pas afin de la vendre, mais bien d’exprimer un mécontentement, un mal aise, ou une injustice sociale et ainsi sensibiliser la population à ce combat social. Ainsi donc l’œuvre exprime un message, mais il est à l’artiste de la formater afin que les individus comprennent l’idée derrière.
Chaque mouvement de pinceau, chaque trait et chaque objet se trouvent dans la position qu’elle est parce que l’artiste l’a voulu. Elle y a pensé longuement, et en est convenu que cette composition est la meilleure, et la plus attrayante.[7] Nous tentons de comprendre la pensé de l’artiste, tout en essayant de voir ce à quoi nous-même nous pensons et ce que nous ressentons. Où l’artiste veut-il nous emmener? Comme le chanteur irlandais Hozier le dit dans sa nouvelle chanson « Nina Cried Power » de son dernier album :
It’s not the wakin’, it’s the risin’ It is the groundin’ of a foot uncompromisin’ It’s not forgoin’ of the lie It’s not the openin’ of eyes It’s not the wakin’, it’s the risin’
It’s not the shade we should be cast in It’s the light and it’s the obstacle that casts it It’s the heat that drives the light It’s the fire it ignites It’s not the wakin’, it’s the risin’
It’s not the song, it is the singin’ It’s the heaven of the human spirit ringin’ It is the bringin’ of the line It is the bearin’ of the lie It’s not the wakin’, it’s the risin’
Ce n’est pas la chanson qui nous fait réagir, mais bien le chanteur, sans quoi la chanson reste au mieux un poème, au pire inexistante. De même, ce n’est pas le simple fait de se réveiller qui va faire changer les choses dans le monde, mais bien se lever et agir.
Magritte tire cette idée à l’extrême, en mettant des choses invraisemblables ensembles, afin de nous faire réagir. Il nous montre que cet étrange est revenu nous voir, alors qu’on ne s’y attendait pas, alors que nous voulions quelque chose de beau et enchantant. Nous voulions voir une légende, une histoire, un grand mythe qui structure nos pensés, qui nous vole et nous propulse loin. Nous voulions davantage de ces œuvres de Wappers et de la Révolution Belge, où l’histoire renforce notre identité, où tout est bien expliqué et l’on doit simplement ressentir et admirer une expression artistique. Magritte nous propose l’étrange déconstruit de revenir au familier.
Ceci, à mon sens, est une explication complète pour ses œuvres. S’arrêter à l’exposé scientifique ne nous procure en rien les outils nécessaires à admirer ses tableaux. Nous sommes peut-être mieux apte à aborder l’œuvre d’art, mais cela reste trop bref et superficiel. L’expression artistique n’est pas intrinsèquement utile. En fait, il ne sert à rien de parler d’uilité quant l’on discute de l’art. C’est tout simplement un message enveloppé dans une robe qui soit nous plait, soit nous dégoute. Le tout est de savoir pourquoi elle nous déplairait, et ce que le message nous apprend.
[1] Babelio, “Citation de René Magritte”, https://www.babelio.com/auteur/Rene-Magritte/53354/citations, 07/03/2019
[2] Ibidem
[3] Ibidem
[4] Le Figaro, “Scope”, http://evene.lefigaro.fr/citations/andre-breton, 07/03/2019
[5] E.H. Gombrich, “The Story of Art”, Phaidon, 16e Edition, 2015, p.15
[6] Ibidem
[7] Ibidem
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